Samedi 9 août 2025
Après une semaine d’attente, la fenêtre météo s’est enfin ouverte : le train des dépressions s’est calmé il y a deux jours de vent, et puis pétole. Le projet initial c’est de faire 250 miles jusqu’à Ålesund, en profitant d’abord du dévent relatif des Shetlands, mais aussi de l’abri que les îles offrent face à la houle qui vient de l’Ouest. Puis il faudra slalomer entre les plateformes pétrolières et les bateaux qui y travaillent – notre copain Martijn aime bien préciser de façon dramatique que si on se rapproche trop près, elles arrêtent leurs opérations et t’envoient la facture… mais avant d’arriver à 500 mètres d’un de ces géants, on aura le temps de les voir venir.
On choisit donc de partir samedi soir, vers 23h. On quitte le ponton visiteurs, Victoria Pier, les pintes à 2 livres du Boat Club, les violons celtiques, les éternels débats sur “ah et vous pensez partir quand ?”…. pour la houle et le vent.
Mais avant la houle et le vent, on passe devant le port industriel de Lerwick, peuplé d’énormes monstres, les bateaux qui travaillent sur les plateformes, un navire de croisière, des chalutiers démesurées… Tous ces bateaux à poste, le bulbe à fleur d’eau, l’AIS allumé comme s’ils étaient prêts à partir.
Le chenal est super étroit, on hisse la grand voile dans l’avant-port, et quelques moments après on aperçoit l’énorme bateau de pêche sur notre tableau arrière, nous rattrapant sans ambiguïté sur cette route si petite où on peut à peine se pousser pour le laisser passer (à peine = sur la carto, dans les faits il nous déborde d’au moins 200 mètres…).
Les navires que l’on aperçoit à la lumière des nombreuses bouées et des lampadaires du port industriel ont réellement des allures impressionnantes de géant difformes. Les navires de travail et d’approvisionnement des stations pétrolières nous font lever la tête, l’un a une plateforme d’atterrissage d’hélicoptère perchée à trois fois la hauteur de notre mât. Il y a des lumières partout, un vrai sapin de noël, ça devient dur de faire le tri entre les balises qui nous intéressent et les autres. Le bateau de pêche passe en trombe en coupant le chenal pour nous déborder…
Aléla remonte tranquillement au travers vers le Nord des Shetlands, la lune dans notre sillage. C’est un peu étrange d’être enfin partis pour la grande traversée, la vrai, vers l’Est et la Norvège.
Dimanche 10 août 2025
Notre hypothèse de “vagues faibles sous le vent des Shetlands” est… …vérifiée. Le premier bord nous fait donc remonter vers le Nord à l’abri des îles et avec donc un vent modéré et des vagues acceptables. En plus, on est à une allure dos au vent, “au portant” on dit dans le milieu, donc le vent que l’on se fabrique en avançant (le vent vitesse) vient à la rencontre du vent qui souffle autour de nous (le vent réel), et en annule une partie (ce qui crée un vent apparent plus faible que le vent réel donc) ce qui fait paraître à notre bateau d’avoir moins de vent qu’il n’y a en réalité. C’est plus confort comme ça !
On file au portant, dans un confort relatif : le vent souffle quand même 15-20 nœuds et la houle croisée nous envoie tanguer d’un bord à l’autre. J’essaie pas d’éponger les cales, ni autre opération dangereuse pour tout humain à l’oreille interne un peu sensible en pleine mer, et pourtant : retour du repas hors de mon système digestif.
Il paraît que c’est le mal de mer.
La mer se lève quand nous arrivons un peu en dehors de l’abri des îles ; en plus, la dépression en créant un vent qui a tourné a créé des vagues dans tous les sens ! On se réfère souvent aux fichiers météo récupérés avant de partir en mer, en comparant ce que l’on observe à la réalité. Mais pour ça, il faut qu’on fasse correspondre le vent des prévisions (vent réel) avec celui qu’observe un bateau qui se meut (salut les vaches) sur l’eau (vent apparent). Un petit programme écrit sur ma calculatrice de lycée résout le problème et nous permet d’évaluer à quel point les phénomènes météo prévus se sont comportés en réalité 😉
Lundi 11 août 2025
La nuit, je prend mon quart parmi les plateformes pétrolières, qui ressemblent à des châteaux Disney – ou selon Antoine, certaines ont la forme de tondeuses à gazon de luxe illuminées.


Le matin, c’est repas gastronomique pour changer des soupes déshydratées à la tomate : purée mousseline agrémentée de pois chiches croquants et de tomates séchées.
Néanmoins, depuis le début du voyage est tenu une classification mentale des meilleures soupes lyophilisées : celles qui ont un pouvoir réconfortant, les plus gourmandes, les plus épicées, celles avec noodles ou croûtons…
En fin de journée, reprises des forces pour ma part : on apprécie les plaisirs simples comme faire la vaisselle, couper des légumes dehors et jeter les épluchures sur les winchs pendant qu’Antoine dort (peut-être que la brise fera le ménage, peut-être pas), le soleil qui fait coucou enfin, pouvoir sortir sans salopette et veste de quart parce que ce n’est plus la douche permanente…

Mardi 12 août 2025
C’est bon, ça parle norvégien à la VHF !
Le vent se lève par grains, puis finit par tomber. Le matin, on a décidé à l’unanimité de pousser plus loin qu’Ålesund, le port d’arrivée sera Grip.
On se rend compte que les grains sont les seuls moments où on est tous les deux debout : la fatigue fait que l’on se relaie en quart même la journée, mais quand le vent accélère trop on est deux à la manœuvre 😉
Des heures et des heures de moteur, presque pas de pluie. L’activité principale devient le repérage des cargos, mais on ne rencontre qu’un seul risque de collision de toute la journée, un tanker de taille moyenne.

Grip, c’est un ancien village de pêcheurs, la plus petite communauté de Norvège, un petit caillou bordé de cailloux, des récifs partout à fleur d’eau, ici et au loin on les devine par les vagues qui semblent se lever subitement et s’écraser contre des obstacles invisibles.

Heureusement qu’il n’y a pas un souffle d’air et qu’on fait tout au moteur.

Plus on se rapproche de Grip, plus on se rend compte que c’est petit. L’entièreté de l’île est couverte de maisons en bois, une majorité peinte en rouge brique, naturellement. On fait le tour, on devine une jetée, timidement, aucun mât de voilier qui en dépasse sur l’horizon.
L’entrée du port est minuscule, et quel port… On vise un catway qui fait la moitié de la taille d’Alélà avant de trouver une place adéquate le long d’un hangar de pêche. Amarres sur les planches en bois qui surélèvent pont, il fallait pas être plus gros ni avoir trop de tirant d’eau…
Enfin arrivés sur le sol Norvégien, dans ce qui était autrefois la plus petite communauté norvégienne ! On peut souffler, faire trois fois le tour de l’île en 10 minutes, dormir 10 heures d’affilée…