Stornoway, les Hébrides
La fenêtre météo nous fait rester jusqu’à jeudi matin de Stornoway, après deux jours à gratter les vaigrages à l’avant du bateau et faire des tests d’infiltration d’eau. Pendant que je grattais la colle néoprène à l’avant, Antoine a eu le temps de plonger vérifier la réparation du safran (elle tient), vérifier l’obstruction de la crépine d’arrivée d’eau de mer pour le moteur (elle n’est pas bouchée) et de voir s’il trouvait mon crop top rose dans la vase de la marina, recherches interrompues par l’arrivée d’un phoque joueur.
Quelques coutures sur le génois, recollage des coussins, une nouvelle bouée de sauvetage, les réparations font partie du jeu de la plaisance sans être forcément une partie de plaisir…



Il bruine en permanence, la musique de la foire d’à côté nous rend fous – la, enfin les deux musiques simultanées, Eminem et Shania Twain à fond les basses – on croise encore des Français sur les pontons mais ils sont trop timides pour nous demander ce qu’on bricole. On passe les deux jours le chauffage électrique à fond pour faire sécher (une fois de plus) tous les fonds de cale.

Jeudi 31 juillet
Départ matinal après une soirée passée à terminer de ranger le bateau. Ciel couvert, petite mer. Encore des grands moments d’observation naturaliste, les oiseaux se croisent tous en même temps, guillemots, macareux, pingouins torda, la garde rapprochée habituelle. Un énorme dauphin – ou une baleine ? – passe devant la proue.
Ces dauphins sont beaucoup plus gros que ceux que l’on croise depuis le début du voyage, peut être 3m ? Au contraire des dauphins communs (Delphinus delphis) des eaux bretonnes, ce sont des dauphins à gros nez (Tursiops truncatus). En tous cas, leur souffle est beaucoup plus bruyant et m’a souvent surpris lors des quarts quand on ne les a pas vu approcher. L’eau semble moins s’infiltrer à l’avant, et les conditions nous poussent agréablement vers les Shetlands.
La nuit, pendant ma prise de quart, on évite un voilier qu’on ne voit qu’au dernier moment : ni AIS, ni feux de navigation en haut du mat, on voit juste son feu avant rouge clignoter au ras de l’eau, et une grande forme sombre prête à nous rentrer dans l’étrave. Il allume un énorme feu de pont à notre passage, est-ce un appel de phares ? Pendant cinq secondes on le prend pour un chalutier.
De quoi passer un quart bien éveillée, à baigner dans la tension de la collision imaginaire imminente. Une heure plus tard, un deuxième voilier…
Heureusement que la nuit est courte. Le soleil se couche peut-être vers 22h, mais le plus noir de la nuit ne dure pas plus de trois heures… Vers quatre heures, le cerveau commence à distinguer les détails du bateau comme en plein jour ; sans bien comprendre d’où vient cette lumière.
Vendredi 1er août
On croise les Orcades sans finalement s’y arrêter. D’ici lundi, dimanche soir la météo annonce cinquante nœuds : moi rien de savoir que ça existe ça me rappelle que je suis extrêmement peureuse. Antoine reste tranquille même si lui non plus il n’a pas d’envie de se faire rouler dessus par une dépression… Alors on décide de pousser jusqu’à Lerwick, profiter du fait qu’on marche bien, que les vagues sont relativement petites – cinquante centimètres selon Antoine, un mètre cinquante selon mes propres estimations empiriques.
Le soir on se fait un curry, c’est pas parce qu’on a peur de se faire rattraper par la patrouille qu’il faut mal manger. Bon, on a trente-six heures de marge, mais se rappeler qu’il faut arriver vite, ça tiraille un peu les nerf (c’est ça, en fait le concept de fenêtre météo – c’est qu’elle finit par se refermer cette fenêtre)
Samedi 2 août
On a échangé nos quarts avec Antoine – il a pris le 21h – minuit, et j’ai pris le suivant. On alterne les moments de vigilance, la nuit de manière structurée, le jour selon la fatigue de chacun « c’est ok si je vais dormir ? Tu surveilles ? ».
J’ai réveillé Antoine pour des nuages un peu haut sur l’horizon, qui laissait entrevoir une mince bande blanche, lumineuse… plus je la fixais, plus je m’imaginais une plateforme pétrolière un peu futuriste.
Autre sujet de tension (ou concentration) : le courant. Un Breton nous l’avait dit à Islay déjà – « naviguer en Bretagne sud, c’est facile (bon à part le golfe du Morbihan), tu t’inquiètes pas tant du courant ou de la marée, ici… faut faire vraiment attention ». En effet, les instructions nautiques nous rappellent que les Shetlands, c’est pas pour les noobs, et c’est mieux d’avoir un moteur qui marche bien. Il y a des endroits où le courant de marée fait vraiment pas rire, notamment à la pointe de Sumburgh Head, au Sud de Mainland. La recommandation pour éviter de se faire secouer (et/ou dévier) c’est de passer à au moins 3 milles des côtes, ou alors très proche des côtes – je serais curieuse de discuter avec les marins qui prennent cette option, surtout de nuit.

On remonte donc au vent, au près serré, on surveille le cap pour pas se rapprocher trop du phare…
Finalement, on ne ressent pas trop de courant et l’arrivée à Lerwick se fait tranquillement en 4 bords, notamment pour éviter un paquebot un peu trop pressé. Des orques sautent devant le bateau et un escadron des dauphins à gros nez nous escortent dans l’entrée du chenal.



Une fois amarrés et le livre de bord rangé dans la table à carte, c’est l’heure d’une sieste réparatrice suivie d’un fish & chips englouti avec bonheur 😉